Le coté obscur de la force

Il y a quelques jours, je suis tombée sur un excellent article sur le non moins excellent site collaboratif "les vendredis intellos", que vous trouverez ici. Cet article riche en arguments pose un problème de fond concernant la bienveillance éducative et la non violence dans l’éducation. Il y est question de souligner, que parler d'éducation bienveillante, en terme d'outils alternatifs, ne suffit pas en soi, si on ne remet pas en cause le statut de l'enfant dans la relation éducative et la relation de pouvoir entre adultes et enfants, et plus précisément entre parents et enfants.

Un changement de perspective...

J'avoue que cette question me parait tout à fait intéressante. Dans mon travail d'accompagnatrice parentale, il m'arrive de rencontrer des parents, qui cherchent des "trucs" et des "astuces", ou des "solutions", pour faire en sorte que leurs enfants répondent enfin à leurs attentes. Ces mêmes parents sont d'ailleurs souvent sous l'emprise d'une société toute entière, qui considère qu'un enfant bien élevé est docile, obéissant et travailleur, et surtout qu'il ne manifeste pas trop de mécontentement en remettant en question la place qui lui est attribuée. Je suis la première à dire que le premier travail que nous avons à faire en tant que parent, c'est de nous libérer de l'idée qu'en tant que parent, nous avons le pouvoir de faire en sorte que notre enfant corresponde à l'image qu'on (ses parents, et la société) attend de lui. De sortir de cette attitude de contrôle; qui nous pousse à contraindre l'enfant à devenir ce qu'on a décidé pour lui. Dès lors, nous sortons d'une posture relationnelle de pouvoir sur l'enfant, pour aller vers une posture d'autorité qui fait de nous des guides, et où nous pouvons transmettre une attitude qui prend en compte ce qui nous relie à l'enfant, c'est à dire notre caractère humain, animé par des besoins et des émotions. C'est à partir de cette posture que nous pouvons accompagner l'enfant, à travers la relation que nous allons construire avec lui, dans le développement de ses compétences émotionnelles et relationnelles.

L'éducation bienveillante, une relation sans pouvoir....

Néanmoins, il me semble que la question de relation de pouvoir dans l'éducation telle qu'elle est décrite dans l'article, ne prend en compte qu'un aspect de la notion de pouvoir. Attirer l'attention sur le fait que c'est la relation de pouvoir qui est à l'origine de la violence éducative, ne signifie pas pour moi, que le pouvoir devrait être absent de la relation éducative.

En effet, il me semble que dans cette optique, une seule conception du pouvoir est mise en lumière : le pouvoir comme instrument de coercition. Or, si nous n'avons pas le pouvoir de pousser notre enfant à répondre à nos attentes  nous avons le pouvoir d'agir pour que nos besoins soient respectés et qu'ils acquièrent le pouvoir de faire respecter les leurs. Et c'est même là d'ailleurs toute notre responsabilité d'adulte, que ce soit à l'égard des enfants ou non. Donc, il s'agit davantage de nous connecter à notre propre pouvoir d'adulte à faire respecter nos besoins, plutôt que d'agir SUR l'enfant dans le but qu'il y  réponde. Bien sûr; l'enfant peut contribuer à ce que nos besoins soient respectés, mais il ne s'agit là que d'une des multiples solutions possibles, et cette solution n'est envisageable que si l'enfant y consent.

Sans rapport de force

De la même façon, il m'arrive de rencontrer des parents qui perçoivent l'éducation bienveillante comme une éducation sans conflit, ni rapport de force, dans laquelle l'enfant va consentir à faire ce qu'on lui demande, parce qu'eux, les parents, auront utilisé la bonne phrase, le bon outil, la bonne astuce, etc... C'est ce qui contribue à donner à cette démarche éducative l'image d'une éducation laxiste, un poil bisounours, voire clairement idéaliste. Et il faut bien le dire, c'est un peu justifié....

La différence majeure entre un parent qui utilise la violence éducative et celui qui est dans une démarche d’éducation non violente, c'est que la conception du pouvoir n'a pas la même finalité, comme je l'ai expliqué plus haut. Mais pas seulement. Dans une démarche d'éducation non violente, le rapport de force est bien présent, ainsi que les conflits. Ainsi, l'enfant n'est pas considéré comme l'égal de son parent en terme de droits, mais en terme de valeur. Il y a donc bel et bien une hiérarchie entre parents et enfants, mais qui donne à l'enfant le droit à la protection des adultes, et non pas un devoir d'obéissance aveugle.

En outre, le rapport de force existe bel et bien, mais dans une intention de protection et pas d'éducation. Ainsi, il s'agit de s'interdire d'utiliser la force dans le but de faire payer son comportement à un enfant, parce qu'il est mauvais, ou méchant, ou dans le but de lui faire comprendre quelque chose. Par contre, on va s'autoriser à utiliser la force, et donc l'intervention physique, pour empêcher un jeune enfant de traverser la route, de monter sur un meuble de la maison, ou de faire tout action qui porterait atteinte à sa propre sécurité ou celle des autres. C'est particulièrement le cas avec les enfants en dessous de 4-5 ans qui ne comprennent pas toujours le message oral de l'adulte et dont la compréhension des consignes passe par l'expérience, et donc par le corps (ce qu'on appelle l'intelligence sensori-motrice).

 

De la même manière, on va utiliser la force pour que l'enfant prenne en compte les besoins d'autrui ( on va l'habiller contre sa volonté parce que nous avons besoin d'être à l'heure, ou l'empêcher de prendre le jouet de son grand frère).

Mais, me direz-vous, où est la protection de l'enfant si on l''habille de force, ou qu'on le contraint à ne pas prendre les jouets de son frère ? A cette question, j'aimerais vous en poser deux autres : A votre avis, qu'allez vous ressentir contre votre enfant de moins de 4 ans, s'il joue au lieu de se dépêcher et que par conséquent, vous êtes en retard au travail ? A votre, avis, que va faire le grand frère pour protéger son jouet s'il dit plusieurs fois au petit de ne pas y toucher et que celui-ci n'obtempère pas ? Il y a fort à parier que la réponse à la première question soit que vous serez énervés et qu'il vous sera alors encore plus difficile de faire preuve de patience à l'égard de votre petit le soir venu. Et il est fort probable que le grand frère finisse par en venir aux mains pour faire entendre au petit ce qu'il a essayé de lui faire comprendre par les mots. Il s'agit donc ici d'utiliser la force pour protéger votre besoin et celui du grand frère, mais aussi d'agir tôt et de façon efficace, afin d'éviter de confronter le petit à une violence encore plus grande, la votre et celle de son frère. Par ailleurs, l'intervention physique s'accompagne toujours de la prise en compte de l'émotion de l'enfant et de son accueil, ce qui distingue encore cette démarche et en fait une démarche respectueuse. parce qu'au-delà du rapport de force, c'est la non prise en compte de l'émotion de l'enfant qui constitue une violence éducative. L'idée que l'enfant a "mérité" qu'on le contraigne parce qu'il refuse d'obtempérer et qu'en plus, il n'a pas le droit de râler...

Ni conflits

On comprend alors plus facilement que même dans une éducation bienveillante et respectueuse, les conflits sont présents, ainsi que les émotions désagréables de part et d'autres. Mais la grande différence réside dans le fait que jamais ces conflits ne dégénèrent en violence, même si le rapport de force est parfois nécessaire. C'est d'ailleurs là toute la différence entre la non violence et le pacifisme. le pacifiste, c'est celui qui va fuir le conflit, voire renoncer à faire respecter ses propres besoins au profit de ceux des autres, dans une démarche plus proche de la résignation, et donc de la violence retournée contre lui-même. 

Le non violent va agir pour protéger sa vie et son intégrité, même s'il doit utiliser la force pour cela. Et c'est également la différence fondamentale entre la tolérance et le respect. Je peux respecter mon enfant, sans pour autant tolérer ses comportements si ceux-ci portent atteinte à mes limites. J'ai alors la responsabilité d'agir pour que celles ci soient respectées.

Repenser la place de l'enfant et de l'adulte

Ainsi, cheminer vers une démarche d'éducation réellement respectueuse, nécessite de repenser totalement notre conception du pouvoir, et de la place de l'enfant et de l'adulte dans la relation. Cela nécessite pour nous adultes, d'être toujours au clair avec notre intention, et attentifs à nos propres besoins. Cela implique qu'outre la connaissance d'outils éducatifs, nous ayons une plus grande connaissance des possibilités de nos enfants en fonction de leur âge, ainsi que des mécanismes émotionnels et relationnels qui sont en jeu dans notre relation avec eux. On sort alors de la sempiternelle question "comment on fait sans fessée ?" (sous entendu, pour obtenir le même résultat, à savoir l'obéissance de l'enfant...) pour aller vers d'autres questions à mes yeux plus fondamentales A savoir, quel est notre objectif en tant qu'adultes ? Est ce que notre objectif, c'est réellement que nos enfants fassent ce que nous voulons qu'ils fassent ? Mais aussi, que voulons nous que nos enfants aient comme raison de faire ce que nous voulons ? Est-ce que nous voulons qu'ils le fassent par peur des conséquences ? Ou de nous ? Ou pour nous faire plaisir ? Ou parce qu'ils ont réellement compris le sens de notre demande comme légitime, parce que liée à un besoin pour nous ou pour la famille ? et qu'alors, ils souhaitent contribuer au bien être de chacun, et prendre leur place dans la famille, en pleine possession de leur responsabilité, avant de la prendre dans la société toute entière ? 

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